Tabou. Si les statistiques font état de 1 600 plaintes déposées en 2014 pour le seul département de la Haute-Garonne, émanant de femmes violentées au sein de leur couple, aucun chiffre ne peut être avancé en ce qui concerne les hommes victimes de violences conjugales. Ce phénomène, pourtant en constante augmentation, reste marginal privant ainsi les « hommes battus » d’accompagnement.
Un homme meurt tous les 13 jours sous les coups de sa compagne. Ce chiffre peut paraître déconcertant tant il est imprimé dans l’inconscient général que seules les femmes peuvent être victimes de violences conjugales. Pourtant, il ne surprend pas les acteurs professionnels qui se sont emparés du sujet. Il est toutefois difficile de quantifier le nombre de victimes, parce que beaucoup n’osent pas en parler mais aussi parce que les chiffres de la Police nationale ne distinguent pas le sexe lors de plainte pour violences conjugales. D’après les travaux de Daniel Welzer-Lang, directeur du département de sociologie-anthropologie à l’université Jean-Jaurès, 20% des personnes violentées sont des hommes. Difficile à croire pour certains, pensant qu’il est nécessaire d’avoir le dessus physiquement pour battre quelqu’un. Idée préconçue qui contribue au déni sociétal de la violence faite aux hommes, au sein même de leur couple selon le sociologue : « une manipulation d’abord psychologique permet à la « femme bourreau » de maintenir son compagnon sous son emprise. La violence va ensuite crescendo et aboutit à l’agression physique. » Les femmes auraient d’ailleurs tendance à s’aider d’objets comme en témoigne Maître Escudier, avocat toulousain, spécialiste du droit des familles, qui a défendu une vingtaine d’hommes battus : « J’ai vu un homme dont la femme l’avait lacéré à coup de fourchette pour finalement la lui planter dans le dos. Un autre dont la compagne lui avait arraché le nez par morsure, d’autres encore se sont vus lancer des casseroles d’eau bouillante au visage ! »
« 20% des personnes violentées sont des hommes »
Par un processus de manipulation, toute réaction est annihilée, comme le confirme Sylvianne Spitzer, présidente et fondatrice de « SOS homme battu », seule association leur venant en aide : « la soumission engendrée par l’humiliation ne leur permet plus de se défendre. » L’avocat reconnaît d’ailleurs que les femmes sont redoutables dans le maniement de la torture psychologique, sachant taper où ça fait mal : l’estime que l’homme peut avoir de lui-même. « Mais ils ne partent pas, souvent par amour, mais aussi par lâcheté et faiblesse », précise-t-il. Le mécanisme est ainsi le même que pour les femmes, ne mettant pas fin au calvaire par peur des représailles ou pour protéger les enfants. Mais une différence demeure pourtant, celle de la perception sociale. « Un homme aura beaucoup plus de mal à se sentir victime. D’abord parce que socialement, il est censé être fort, tant physiquement que psychologiquement, la honte est donc plus prégnante. Ensuite parce qu’il est complexe pour l’environnement direct d’intégrer qu’un homme puisse souffrir à cause d’une femme. Beaucoup pense qu’il pourrait se défendre s’il le voulait », précise Sylvianne Spitzer, également psychologue, criminologue et professeur à l’Université Toulouse Capitole.
Effectivement, les femmes parviennent à demander le divorce en affirmant qu’elles sont battues, mais pour les hommes « on ne s’aperçoit souvent qu’au cours de la procédure qu’ils subissent des sévices. C’est ensuite qu’ils s’effondrent pour prendre conscience de leur statut de victime », confirme Maître Escudier. Mais pour Daniel Welzer-Lang, c’est plus compliqué. Les hommes battus n’auraient pas le même rapport à la femme que leurs homologues : « ils recherchent un rapport de collaboration et non de domination mais lorsqu’ils tombent mal, sur une femme dominante, ils se laissent faire. » La psychologue et le sociologue généralisent leur propos car il est possible d’établir un profil de l’ « homme battu », le schéma psychologique étant quasiment systématiquement le même. Il s’agit généralement de personnes peu vindicatives, peu viriles, plutôt douces, « d’ailleurs leur bourreau diront d’eux qu’ils sont mous », précise Daniel Welzer-Lang. Selon Sylvianne Spitzer, ils seraient issus d’une famille matriarcale où l’image du père était peu présente, ils se considèrent comme peu fiables et font profil bas, ils acceptent la supériorité d’une femme. Ou bien, ils auraient grandi dans un foyer où la mère n’allait pas bien et les utilisait comme béquille, niant ainsi son enfant qui, une fois adulte, se niera lui-même. « Généralement, ils évoluent dans une CSP+, sont de bonne éducation, d’un bon niveau social ou, au contraire, sont des hommes issus du bas de l’échelle sociale, des chômeurs ou des étudiants », détaille-t-elle. Pour Maître Jean-Paul Escudier, ces hommes tiendraient même du masochisme : « Lors d’une affaire que j’ai plaidé, l’homme se faisait frapper mais, aussitôt après, faisait l’amour avec son bourreau, la laissant dominer leurs ébats ! »
« La soumission engendrée par l’humiliation ne leur permet plus de se défendre »
Quant à la prise en charge, elle est quasi nulle aujourd’hui. « Je m’en suis aperçue lorsque j’ai reçu à mon cabinet, plusieurs hommes dans cette situation. J’ai tenté de les orienter vers des établissements spécialisés mais je n’en ai pas trouvés. C’est ainsi que j’ai décidé de créer ma propre association, « SOS hommes battus », et je dois avouer que je ne m’attendais à recevoir autant d’appels », constate la psychologue. Ce sont plus de 2 500 hommes qui appellent chaque année. Selon le ministère de l’Intérieur, 110 000 hommes se sont déclarés victimes de violences physiques, psychologiques, sexuelles, financières ou judiciaires, en 2014. Car si les deux sexes sont égaux devant la justice (art 22-12 du code pénal), leur prise en charge elle, est différente : « lorsqu’une femme est battue, la justice éloigne le conjoint du domicile et permet à la victime d’y rester mais quand un homme est victime, c’est pourtant lui qui doit quitter le logement conjugal, alors même qu’aucune structure n’existe pour les accueillir », déplore Sylvianne Spitzer. L’accompagnement social des hommes pose donc problème. A Toulouse, seule l’ « Association vivre autrement ses conflits* », accueille également des hommes, mais « le travail social lui, ne les prend pas en compte, malheureusement ! » conclut Daniel Welzer-Lang.
*AVAC, 17 rue Peyras à Toulouse. 05.61.21.05.28
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